Manipulation graphique


Graphique : "qui représente par des lignes, des figures sur une surface [...] procédé d'impression artistique [...] représentation d'un phénomène ou d'une réalité quelconque à l'aide de dessins, d'images".
Le Petit Robert.


Le graphisme est l'art de dessiner des formes, des images, des trajectoires et des mécanismes dans le cadre d'une écriture. La manipulation graphique dessine dans l'espace avec le corps et l'objet. L'objet (déformable ou non) peut prendre une multitude de formes différentes selon la manière dont il est tenu par le corps ; ce dernier prolonge l'objet et lui donne une forme, un poids, une dynamique qui influencent ses mouvements. On parlera donc d'objet-corps.

Les trajectoires des mouvements de l'objet-corps construisent des formes ou des parcours. Ces parcours visuels, dans les trois dimensions de la scène et dans le temps, véhiculent des significations. On retrouve là beaucoup d'analogies avec la jonglerie cubique. En effet, au milieu des années 90, cette dernière a affirmé intégrer le jongleur et ses objets dans les trois dimensions de la scène. En quelque sorte, le jonglage cubique met en avant l'espace autour de l'objet-corps en utilisant les particularités et propriétés physiques ainsi que les dynamiques qu'offre cet objet-corps.

La manipulation (intégrée à la jonglerie) graphique, elle, va plus loin : elle dessine l'espace et y laisse de façon volontaire et réfléchie une trace significative. L'accent est mis sur cette trace visuelle, intentionnelle.


L'intention du dessin est le pré-requis du graphisme dans la manipulation.


Cette intention est fondée sur un tracé. Comme toute écriture, ce tracé doit être lisible pour le public. S'il est "calculé" par l'émetteur-artiste et "interprété" par le récepteur-public, alors il y a bien une communication.

Ce tracé-écriture est constitué :

  • d'éléments classiques de géométrie (des figures de bases : ronds, carrés, triangles, etc., des symétries, ...)
  • de mouvements de l'objet-corps qui suivent la dynamique que sa forme impose ou propose (de façon caricaturale : un rond roulera, une flèche avancera et un cube glissera sur sa base ou basculera sur son arrête).
  • de figures statiques expressives, comme dans le mime, reconnaissables par des caractéristiques (le lapin avec ses oreilles, l'horloge avec ses aiguilles, etc.)
  • de dynamiques de mouvements issues de notre expérience commune et de notre culture (par exemple la dynamique mécanique, la dynamique des fluides, celle du vol, etc).

Que les figures soient statiques ou mouvantes, des flashs visuels apparaissent régulièrement dans des enchaînements de mouvements, de par le contraste entre images (ou dynamiques) parlantes et images moins connues. Ces images nous parlent car elles appartiennent à un code commun que le public s'approprie, chacun à sa façon.

Tous ces éléments d'écriture ont donc pour référence le connu, les éléments visuels de notre monde qui nous chargent continuellement ; d'ailleurs dans ce cadre, on peut parler de constructivisme* dans le graphisme.


Pour conclure et résumer à l'extrême ce qu'est la jonglerie ou la manipulation graphique, on dira que "c'est du modelage d'espace... intentionnel".



* Le constructivisme évoque l'idée que les constructions perçues résultent de notre analyse à partir d'éléments déjà intégrés. La compréhension, constamment renouvelée, s’élabore à partir des représentations plus anciennes d’événements passés, que le sujet a d’ores et déjà "emmagasinées" dans son vécu. Pierre Bourdieu va plus loin en énonçant que le constructivisme est "comme la jonction de l’objectif et du subjectif".

En art, le constructivisme s'intègre dans une conception géométrique de l'espace il place la création esthétique dans la production industrielle quelle qu'elle soit.

C'est le constructivisme qui a proclamé au début du XXe siècle la beauté de la Machine, de l'objet industriel. Il ne parle plus de composition mais de construction. Il est l'ancêtre du courant artistique Bauhaus qui annonce que "le but final de toute activité plastique est la construction !".

Il est aussi précurseur de l'art cinétique dont le fondement est l'esthétique du mouvement. Tous ces points poussent à affirmer que les manipulations graphiques, comme définit ici, sont imprégnées de constructivisme.


Démarche :

Essayant de mettre un nom et une définition à ce qui le touche dans beaucoup de spectacles vivants et dans sa pratique de jongleur-manipulateur, Pich a interviewé 8 professionnels du graphisme et de la scène : Patrick Ziegler (imprimeur), Jérôme Guittard (graphiste), René Tazé (taille-doucier), Fanny Macé (interprète en langue des signes française et circassienne), Stéphane Vérité (metteur en scène), Emmanuel Pérez (graphiste et jongleur), Aragorn Boulanger (danseur) et Romain Marguaritte (graphiste et jongleur). Cette interview essayait de faire le lien entre le graphisme de leur métier et celui de la jonglerie graphique, entre autre par le vecteur de la composition. C'est à partir de ces discussions qu'il a pu écrire ce texte en reprenant de temps en temps leur propres mots (et particulièrement la dernière citation d'Emmanuel Perez : «modelage d'espace intentionnel»). Il les remercie vivement.
Texte écrit en 2008.

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